Quand l’IA dévore l’électricité : la ruée vers le nucléaire et l’avenir énergétique du Québec
Texte de Philippe Sauro Cinq-Mars
Le développement fulgurant de l’intelligence artificielle, loin de n’être qu’un phénomène algorithmique ou économique, repose désormais sur une ressource bien matérielle : l’énergie. Comme le rapporte Matt Ott dans un article de l’Associated Press publié par The Globe and Mail, le géant Meta (maison mère de Facebook) vient de signer une entente de 20 ans avec une centrale nucléaire de l’Illinois pour sécuriser l’approvisionnement énergétique de ses centres de données. Derrière cet accord, c’est toute la géopolitique énergétique des décennies à venir qui se redessine.
L’IA, ogre énergétique
À mesure que l’intelligence artificielle s’impose comme moteur d’innovation et d’optimisation industrielle, ses besoins énergétiques explosent. Chaque requête à ChatGPT, chaque image générée, chaque conversation simulée dans le métavers réclame une puissance de calcul titanesque. Cette puissance, à son tour, exige une alimentation énergétique stable, continue, et de préférence décarbonée — du moins sur le papier.
Matt Ott explique que Meta, à l’instar d’autres géants technologiques, anticipe ces besoins colossaux en nouant des ententes directes avec les fournisseurs d’énergie. L’accord avec la centrale nucléaire de Clinton (Illinois), détenue par Constellation Energy, permettra à celle-ci d’accroître sa production de 30 mégawatts. Ce surplus, bien que modeste à l’échelle planétaire, pourrait alimenter une ville de 30 000 habitants pendant un an. Signe des temps : la centrale, autrefois déficitaire, avait été sauvée in extremis en 2017 par un programme de crédits pour énergie zéro émission. Dès 2027, ces subventions étatiques expireront, mais Meta prendra le relais… sans passer par le réseau public.
Ce modèle d’intégration verticale — où une entreprise achète ou finance directement sa propre production électrique — illustre bien le changement de paradigme. Il ne s’agit plus de consommer passivement de l’énergie, mais de la contrôler, voire de la produire. Et surtout, de la rendre compatible avec les engagements « carboneutres » que les multinationales affichent à coups de communiqués triomphants.
Nucléaire : retour en grâce
La ruée vers le nucléaire n’est pas une lubie isolée. Comme le rappelle Ott, Amazon, Google et Microsoft ont tous investi récemment dans des technologies nucléaires avancées — dont les petits réacteurs modulaires (PRM). Même la tristement célèbre centrale de Three Mile Island, site du pire accident nucléaire commercial américain en 1979, pourrait renaître sous l’impulsion de Microsoft.
La logique est claire : seule une source d’énergie stable, puissante et non intermittente peut garantir l’alimentation de centres de données fonctionnant 24/7. L’éolien et le solaire, malgré leur attrait médiatique, souffrent de limites physiques que le stockage par batteries ne compense pas encore à grande échelle. En comparaison, un réacteur nucléaire, surtout de nouvelle génération, peut offrir une autonomie énergétique continue et localisée — un avantage stratégique dans un contexte de rareté croissante.
Et les États suivent. En 2023 seulement, 25 états américains ont adopté des lois favorables au nucléaire, tandis que plus de 200 projets législatifs pro-nucléaires ont été déposés en 2024. Le gouvernement Biden vise une multiplication par quatre de la capacité nucléaire d’ici 2050 — objectif ambitieux, mais révélateur d’un basculement idéologique.
Diversification énergétique : vers une autonomie distribuée
Dans ce contexte d’appétit insatiable pour l’énergie, les modèles énergétiques traditionnels doivent évoluer. Et le Québec commence, lui aussi, à s’ajuster. À défaut d’un parc nucléaire — que la province a volontairement mis hors service depuis la fermeture de Gentilly-2 en 2012 — le gouvernement Legault a adopté en 2024 un cadre législatif novateur avec le projet de loi 69. Celui-ci autorise désormais, sous certaines conditions, des producteurs privés à construire de petites centrales (jusqu’à 100 mégawatts) et à vendre directement leur électricité à des entreprises ou à des consommateurs situés à proximité.
C’est un changement de […]