Projet de loi 69 : une réforme risquée entre centralisation assumée et dérive idéologique
Texte de Philippe Sauro Cinq-Mars
Le gouvernement Legault s’apprête à faire adopter sous bâillon le controversé projet de loi 69 sur l’énergie, dans une manœuvre expéditive qui trahit la fébrilité du pouvoir face aux critiques croissantes. Déposé à l’origine par l’ancien ministre Pierre Fitzgibbon, puis repris par sa successeure Christine Fréchette dans un registre plus discret, ce projet de loi concentre entre les mains de l’exécutif une part considérable de la gouvernance énergétique québécoise. Pour certains, c’est une politisation des factures d’électricité. Pour d’autres, un retour légitime du pouvoir politique dans une planification énergétique qui était devenue technocratique. En réalité, c’est un peu des deux — et c’est précisément là où le bât blesse.
Redonner le pouvoir au politique?
Il faut l’admettre : le projet de loi 69 rompt avec une certaine culture de délégation technocratique en matière énergétique. Il redonne au gouvernement la capacité de fixer lui-même certains tarifs résidentiels, d’encadrer plus directement Hydro-Québec et de diriger la planification à travers le nouveau Plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE). À l’heure où le Québec fait face à une crise énergétique imminente, on peut saluer cette volonté de centraliser les décisions et de se doter d’un cap clair.
Après des années d’incohérence et de gouvernance par comités, cette recentralisation politique pourrait être salutaire… si elle était mise au service d’un véritable objectif de redressement énergétique et d’un retour à la souveraineté économique. Malheureusement, ce n’est pas ce que nous observons.
Une centralisation… au service d’une idéologie?
Ce pouvoir retrouvé sert surtout à institutionnaliser les priorités idéologiques de la transition énergétique. On le voit dans l’empressement avec lequel on cherche à éliminer les appels d’offres, à légiférer par décret et à affaiblir la Régie de l’énergie, non pas pour diversifier nos sources d’énergie ou sécuriser notre approvisionnement, mais pour « accélérer la décarbonation ».
On comprend alors pourquoi Hydro-Québec souhaite tant l’adoption rapide de cette loi : elle est un levier administratif pour atteindre ses objectifs du Plan d’action 2035, dans lequel 75 % des investissements sont consacrés à la décarbonation.
C’est là que l’analyse de Thomas Gerbet, journaliste à Radio-Canada, prend tout son sens : le chiffre de 6 milliards $ d’économies, invoqué pour justifier l’urgence d’adopter le projet de loi, provient d’Hydro-Québec. Ces économies ne sont possibles que parce que le projet de loi permet de contourner les processus normaux — appels d’offres, consultations, planification rigoureuse — au nom de l’efficience. Autrement dit : on veut aller plus vite, mais vers la mauvaise destination.
L’arbitraire demeure
Depuis 2023, Québec reconnaît qu’il ne peut répondre qu’à une fraction des demandes énergétiques. Cela confère au gouvernement un pouvoir discrétionnaire immense : décider qui peut se développer ou non, qui recevra un bloc d’énergie ou non. Michael Sabia lui-même l’a […]