Le « jour de la Confédération » : comprendre le 1er juillet 1867
Texte de Philippe Sauro Cinq-Mars
1er juillet 1867, 10 h du matin. Un nouveau pays naît officiellement sur le continent nord-américain : le Dominion du Canada. À Ottawa, une salve de canons tonne en l’honneur de la Reine. Les cloches des églises sonnent. Dans les rues de Montréal, de Québec ou de Halifax, quelques officiels arborent des cocardes, mais la population demeure en grande partie indifférente, ou du moins incertaine de ce que cette Confédération signifie. Car derrière l’acte solennel se cachent des décennies de tensions, de luttes, d’humiliations, et de marchandages. Pour les Canadiens français, ce 1er juillet ne sera jamais un anniversaire naïf. C’est un fait politique, né d’un compromis impérial, d’un calcul stratégique… et d’un passé douloureux qu’il faut comprendre.
Avant de s’arrêter sur cette journée fondatrice, il faut d’abord remonter aux régimes qui l’ont rendue possible — ou nécessaire. Car la Confédération ne naît pas dans un vide, mais dans une succession de chocs.
Les régimes coloniaux précédents (1760–1848)
L’histoire du Canada commence dans la défaite. Après la Conquête de 1759-1760, la Nouvelle-France devient colonie britannique. Dès lors, les Canadiens — on dira plus tard les Canadiens français — passent du statut de peuple fondateur à celui de population conquise. Les lois anglaises s’imposent, l’administration coloniale est hostile, et les catholiques se voient immédiatement exclus des fonctions publiques par le serment du Test, qui les force à renier l’autorité du pape. On exige d’eux qu’ils abandonnent leur foi pour participer à la vie publique. Cette exigence, maintenue jusqu’en 1774, cristallise l’humiliation d’un peuple obligé de choisir entre sa conscience et ses droits.
L’Acte de Québec, imposé cette année-là pour s’assurer de la loyauté des Canadiens face aux colonies américaines en rébellion, restaure temporairement une certaine autonomie religieuse et juridique : le droit civil français est maintenu, la dîme est protégée, et les catholiques sont de nouveau admissibles à des fonctions officielles. Ce compromis, purement stratégique pour Londres, jette pourtant les bases d’une dualité culturelle et juridique qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Mais cette tolérance n’empêche pas l’imposition du joug britannique. En 1791, l’Acte constitutionnel divise le territoire en Haut-Canada (anglophone) et Bas-Canada (francophone), chacun doté d’une assemblée élue. Cette division entérine le clivage linguistique et ouvre la voie à une série de conflits politiques.
Au Bas-Canada, les députés francophones, bien que majoritaires à l’Assemblée, se heurtent continuellement au Conseil législatif nommé par Londres. Les projets de réforme sont bloqués, les taxes imposées sans consultation, et les inégalités se creusent. Le ressentiment grandit, jusqu’à éclater en révolte. En 1837-1838, les Patriotes prennent les armes. Ils réclament un gouvernement responsable, la fin de l’arbitraire, et la reconnaissance de leur nation. La répression est brutale. Les troupes britanniques incendient les villages, fusillent les insurgés, et condamnent à mort ou à l’exil les meneurs. François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier, juste avant d’être pendu, écrit : « Je meurs sans remords ; le seul crime de votre père a été son échec. »
En 1839, le rapport Durham, commandé pour comprendre les causes des rébellions, propose une solution radicale : assimiler les Canadiens français. Il les décrit comme « un peuple sans histoire et sans littérature », incapable de progresser sans l’aide des Britanniques. Il recommande l’union du Haut et du Bas-Canada pour les noyer dans une majorité anglophone. Ce sera chose faite en 1840, avec l’Acte d’Union. Une seule Assemblée est créée, où les deux régions, malgré leur population inégale, ont un nombre égal de députés. Le Bas-Canada perd sa majorité, son nom, et son pouvoir. Pire encore, les dettes sont fusionnées — alors que celles du Haut-Canada sont bien plus lourdes. Pour beaucoup, c’est un pillage organisé, une tentative d’effacement identitaire.
Malgré tout, une lueur démocratique finit par percer. En 1848, le gouvernement responsable est finalement accordé : le pouvoir exécutif doit désormais avoir la confiance de la majorité élue. C’est une victoire importante. Mais l’instabilité demeure. Les clivages linguistiques, religieux et régionaux continuent de miner la gouvernance. Le Canada-Uni devient ingouvernable. À chaque élection, les coalitions se font et se défont. Il devient évident que l’Union de 1840 n’a pas réglé les tensions : elle les a figées dans un carcan.
Vers la Confédération : conférences et alliances (1864–1867)
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